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AGIR

demander
une commission historique

Louis Pradel

En octobre 2018, quand nous avons commencé à nous interroger, nous avons vite réalisé qu’on ne connaissait rien de l’ampleur du phénomène : on voyait un scandale médiatique sans chiffre. Deux solutions : soit il était grossi par les médias qui en parlaient beaucoup, auquel cas une enquête historique permettrait d’objectiver les choses ; soit l’ampleur du phénomène était sous-estimée par les évêques, ce qui ne nous rassurait pas non plus.

 

Ayant eu connaissance de l’existence de quelques rapports nationaux, en Australie, Chili, Irlande, États-Unis, etc, on a alors essayé d’estimer le nombre de victimes et d’abuseurs, en supposant que le clergé français se serait comporté d’une manière proche du meilleur des clergés (ce qui prouve que oui, nous aimons nos prêtres et faisons ça aussi pour leur éviter une situation de suspicion généralisée). Comme pour le nuage de Tchernobyl, si nos voisins sont touchés, nous le sommes sûrement aussi.On a trouvé une moyenne de 3,7 victimes par an et par million de catholiques, et donc 7500 victimes en 50 ans dans toute la France. Avec la même méthodologie, on a trouvé 2200 agresseurs sur une période de 50 ans. Ce chiffre nous a paru cohérent avec les 1900 clercs australiens, mais très en décalage avec les 4 clercs emprisonnés en 2017 en France.Nous avons alors décidé de lancer une pétition, de la part de catholiques, pour demander aux évêques de France de diligenter une commission historique. Bien inspirés, (ou réagissant à la pression des médias, des victimes, des politiques qui demandaient aussi une commission) les évêques ont voté lors de leur assemblée générale fin octobre 2018, de mener une « commission indépendante pour faire la lumière sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique depuis 1950 ».Si d’autres catholiques, dans d’autres pays, voulaient s’inspirer de notre texte, qu’ils soient encouragés ! C’est pour cela que nous publions ici notre projet de pétition :

Projet de pétition

Aux Évêques de France, en réponse à la lettre au peuple de Dieu qui est en France

 

Le 20 août 2018, le Pape a écrit à nous, peuple de Dieu, au sujet d’« abus sexuels, d’abus de pouvoir et de conscience, commis par un nombre important de clercs et de personnes consacrées ». Il nous invite à constater « que les blessures infligées ne disparaissent jamais », et reconnait que parfois des mesures ont été prises « qui en augmentaient la gravité jusqu’à tomber dans la complicité. »
Le 12 septembre 2018, les Évêques du conseil permanent de la conférence des Évêques de France se sont adressé à nous, peuple de Dieu qui est en France. Face à « La souffrance imprescriptible des victimes et de leurs proches », vous vous affirmez « tristes, honteux », dans le « désarroi ».

Nous, membre de ce peuple de Dieu, pouvons aussi nous confesser d’avoir regardé ailleurs, de ne pas nous être soucié du sort des victimes, d’avoir eu une confiance démesurée dans notre clergé par notre cléricalisme. Ce sont nos enfants, cousins, neveux, amis, dont nous avons pu ignorer la détresse qui les a parfois poussés au suicide.

Dès 2002, le Pape Jean-Paul II affirmait « ces abus sont immoraux à tous points de vue et la société les considère à juste titre comme un crime ; c’est aussi un péché effroyable aux yeux de Dieu [] Il n’y a pas de place dans la prêtrise ni dans la vie religieuse pour ceux qui font ou feraient du mal aux jeunes gens » (1).

En plus du crime d’agression sexuelle sur mineur, apparait le scandale de ceux qui les ont couverts . A ce sujet, la conférence des Evêques de France avait affirmé en 2000 que l’évêque « ne peut ni ne veut rester passif, encore moins couvrir des actes délictueux » (2).

Depuis quelques années, des mesures ont été mises en place dans le diocèse afin d’enrayer ce fléau, et nous pouvons citer entre autre :
– La mise en place d’une cellule d’écoute pour les victimes
– La formation des prêtres et de leurs collaborateurs

Nous encourageons notre clergé dans la mise en place et le suivi de ces outils qui doivent permettre d’enrayer ce fléau à l’avenir.
Cela dit, il nous semble nécessaire de faire la vérité sur le passé. Cette crise pousse les chrétiens dans le désarroi car la confiance a été gravement trahie. Le cris des victimes accuse autant les agresseurs que ceux qui ont collaboré par leur silence. Si l’Église n’est pas en paix aujourd’hui, c’est qu’elle a commis ou laissé commettre trop d’injustice envers ces petits. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » nous interpelle Jésus (3). La parole de Dieu doit ici nous inspirer : « Amour et Vérité se rencontrent, Justice et Paix s’embrassent »(4).

Les demandes de pardon sont une des facettes de l’amour ; elles permettront peut-être, un jour, d’adoucir la souffrance des victimes, mais si elles nous dispensent de faire la vérité, et donc la justice, la demande de pardon risque au contraire d’augmenter la souffrance des victimes qui ne se sentiront, encore, pas écoutées. « Ce n’est que dans la vérité que l’amour resplendit […]Dépourvu de vérité, l’amour bascule dans le sentimentalisme. L’amour devient une coque vide susceptible d’être arbitrairement remplie. C’est le risque mortifère qu’affronte l’amour dans une culture sans vérité. » (5)

C’est pour cette raison que nous vous demandons de diligenter une commission historique afin de comprendre ce qui s’est passé ces dernières décennies. Cette vérité pourra aider toutes les personnes concernées par ce scandale :

-en premier lieu, les victimes. Emprisonnées dans le silence par l’incapacité de parler, isolées lorsque personne n’accorde de crédit à leurs paroles, la reconnaissance des faits semble l’étape cruciale.

«Seule la construction de la vérité m’intéresse. Les différentes justices s’occuperont de le punir » écrit Jean-Yves, une victime du père Preynat. Savoir que les agresseurs ne peuvent plus se cacher, ni ceux qui les ont couvert, c’est leur permettre un chemin sur lequel la confiance peut refleurir.

A approfondir par la commission : sur les 50 dernières années, combien de victimes n’ont pas bénéficié du procès, civil ou canonique, de leur agresseur ?

-tous les prêtres innocents, victimes collatérales de l’ambiance de suspicion généralisée. Si nous, pratiquants, restons attachés et estimons nos prêtres, ceux-ci souffrent de l’image qui en est donnée par ces crimes. Dans ces conditions, comment le prêtre pourrait-il être représentant du Christ ?

A approfondir par la commission : parmi nos prêtres, diacres, laïcs en mission ecclésiale, en paroisse ou à d’autres postes, en subsistent-t-ils quelques-uns connus pour agression ?

-nos Évêques. Au vu de l’étendue du scandale dans les pays qui ont mené des investigations complètes, notre épiscopat a-t-il été suffisamment vigilant ? Certains évêques ont-ils commis de graves actes de « négligence […] dans l’exercice de leur fonction, en particulier vis-à-vis des cas d’abus sexuels commis sur des mineurs et des adultes vulnérables »(6). Répondre à cette question permettra de restaurer la confiance. Si certains se sont laissé entrainer dans cette culture du secret, nous leur adressons les paroles de Benoit XVI : « Reconnaissez ouvertement vos fautes, soumettez-vous aux exigences de la justice, mais ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu» (7).

Parmi nos évêques, présents et passés, certains ont-ils commis ces négligences de manière caractérisée ? Sont-ils encore nos pasteurs ?

-nous, peuple de Dieu. En faisant la lumière sur ces crimes, nul doute que nous, fidèles, seront mis face à nos manquements. Combien de proches ont fermé les yeux, préférant sauvegarder une réputation ? Ces secrets ont détruit tant de familles. Apprendre à faire la lumière nous permettra par la suite d’ouvrir les yeux sur ces agressions qui se déroulent au sein même des familles. L’aide de l’Église pourrait nous y aider, comme elle sait le faire sur tant de sujets.

-la société toute entière. Si elle se fait si insistante sur le sujet, n’est ce pas qu’elle attend de l’Église une lumière, une espérance ? Nos discours lui semblent aujourd’hui pour le moins inaudibles : « Ou comment peux-tu dire à ton frère : Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien ? Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère » (8).

 

(1) Discours du Pape Jean Paul II lors de la rencontre interdicastérielle avec les cardinaux des États-Unis d’Amérique, 23 avril 2002
(2) Déclaration au sujet de la pédophilie lors de l’ Assemblée plénière de novembre 2000, 9 novembre 2000
(3) Évangile selon Saint Matthieu 25, 40
(4) Psaume 84
(5) Caritas in Veritate, Benoit XVI, n3 et n 29 juin 2009
(6) Lettre Apostolique « Comme une mère aimante » du Pape François, 4 juin 2016
(7) Lettre pastorale du saint père Benoit XVI aux Catholiques d’Irlande, n 7
(8) Évangile selon Saint Matthieu 7,4