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24 avril 2019
le déni, qu’est-ce que c’est ?
les étapes du deuil appliquées à la crise des abus.
Lors d’une épreuve difficile comme la perte d’un proche, une rupture, la personne concernée peut entrer dans un mécanisme défensif appelé le déni. Ce mécanisme inconscient forme un écran entre elle et la réalité afin d’éviter un débordement trop intense d’émotions. Cette personne refuse alors de croire ce qui est pourtant perçu comme tout à fait réel par son entourage.
Parfois, elle entre dans un état de sidération : face à un traumatisme violent et/ou soudain, les mécanismes habituels de défense sont absents. La personne est comme figée, sans réaction, sans émotion.
Ces deux attitudes sont le début du processus de deuil. L’étude de ces phénomènes, permet de mieux comprendre notre réaction de chrétien face à la révélation d’abus sexuels sur mineurs dans l’Église.
En effet, en tant que croyants, nous pouvons être très attachés à notre Église, son fonctionnement, ses clercs. Dans l’Église, la plupart d’entre nous a trouvé une famille, un soutien, un refuge, une communauté bienveillante, guidée par l’amour. Dès lors, la révélation en cascade de scandales est tellement aux antipodes de notre perception habituelle, que le déni ou la sidération se met en place. Nous ne pouvons pas accepter ce qui ressemble à la perte d’un des piliers de nos vies. L’écart est trop grand, entre tous les bons pasteurs que nous avons côtoyés, et l’image effroyable que l’on se fait du pédophile.
Accepter que les abus sexuels existent dans l’Église nous perturbent de manière très profonde, et à différents niveaux :
– notre vie de foi : réciter dans le Credo « je crois en l’Église sainte ». Certains catholiques pensent d’abord au pape, aux évêques et aux prêtres quand ils parlent de l’Église. Ils peuvent avoir tendance à sacraliser l’institution, à la croire infaillible puisque voulue par Dieu. Mais l’Église est avant tout le peuple de Dieu dans son ensemble et c’est du Saint Esprit que vient sa sainteté. C’est à travers les faibles et les petits qu’Il la guide, plus que par ceux qui ont du pouvoir.
– notre rapport à l’institution : nous faisions confiance au clergé. C’est le prêtre qui nous donne les sacrements, (notamment la confession) et qui nous accompagne spirituellement. Pour nous, le prêtre a consacré sa vie au Christ en réponse à Son appel. Il bénéficie donc de la grâce de Dieu pour tenir ses engagements. Entendre une victime raconter que pendant qu’il lui donnait l’absolution d’une main, le prêtre le masturbait de l’autre est absolument horrifiant. Il y a de quoi être plongé dans la sidération. Viennent alors ces questions : quelles relations entretenons-nous avec les prêtres et le clergé ? Comment comprendre l’obéissance et le discernement ? La structure même de l’institution est-elle à remettre en cause ?
– notre vie sociale et familiale : si même des prêtres peuvent devenir auteurs d’abus sexuels, à qui pouvons-nous faire confiance ? Tous les hommes sont-ils pervers ? Y aurait-il des victimes parmi nos enfants/cousins/neveux que nous ignorerions ? Savons-nous réagir correctement face à une situation d’abus ?
Confronté à des révélations aussi graves, il est naturel que, dans un premier temps, un groupe se replie sur lui-même et refuse de prendre en compte les informations de l’extérieur. La psychologie parle de phénomène d’homéostasie : « Processus de régulation par lequel l’organisme maintient les différentes constantes du milieu intérieur entre les limites des valeurs normales ».
Concrètement, le déni se met en place avec des contre-arguments minimisant ou relativisant les faits ; ou justifiant l’inaction. Certains diront : « c’est bien pire ailleurs », « c’est un complot médiatique », « le pire est derrière nous, la majorité des cas appartient au passé », « la plupart des accusations sont des coups montés », « plusieurs prêtres se sont déjà suicidés, arrêtons le massacre ! »…
Les étapes suivantes du deuil sont la colère et la tristesse. La colère peut se retourner contre toute l’institution, avec l’envie de claquer la porte de l’Église. Il est tentant de rejeter toute hiérarchie, de retirer notre confiance à tous les prêtres, de nous servir d’un évêque comme bouc émissaire. La tristesse augmente à chaque prise de conscience des multiples traumatismes subis par les victimes ; et peut se doubler de culpabilité de ne pas avoir réagi, ouvert les yeux plus tôt. Le traumatisme étant vécu par toute la communauté, il peut être pertinent de mettre en place des groupes de parole et d’échange sur le sujet, afin d’aider chacun à exprimer ce qu’il ressent. Sur un traumatisme d’une telle ampleur, il est normal que l’accueil des émotions et leur expression prenne du temps.
Enfin, la dernière étape est celle de l’acceptation et du relèvement. Une fois que nous avons consenti à la réalité, digéré notre colère et notre tristesse, nous sommes prêt à reconstruire. Nous avons retrouvé nos facultés d’analyse et de réflexion. Nous pouvons alors nous engager dans la lutte en parlant du sujet, en rejoignant un groupe déjà existant, en entrant en dialogue avec notre curé, en montant un groupe de réflexion dans notre paroisse… Il est alors temps de réfléchir au pouvoir dans l’Église, aux relations entre laïcs et clergé, à la sensibilisation et à la formation des catholiques, à la protection des enfants, au rétablissement de la confiance…